Le Marquis de Sade

…ÉTAIT UN MORALISTE

Pour un moraliste ou un inquisiteur qui se tient, le Marquis de Sade était un diable, car il usait d’une trop grande liberté. À l’entendre ainsi, il faut conclure que le diable est un grand défenseur de nos libertés. Comment comprendre alors, que ce même Marquis, lorsqu’il s’en prend à Dieu et le mène au procès, accuse précisément ce même Dieu d’avoir donné la liberté à l’homme ! En effet, dans La philosophie dans le boudoir, il nous dit que si Dieu avait été digne d’un Dieu, il aurait fait l’homme tout à fait bon, de telle manière que l’homme ne puisse jamais faire le Mal. Et de finir en disant : « C’est tenter l’homme que de lui laisser un choix. »

Comment se peut-il que, d’une part, le moraliste restreigne la liberté, et, d’autre part, que le Marquis de Sade, voulant user au maximum de la liberté, la condamne cependant quand elle émane de Dieu. Vous consentirez avec moi que ces contradictions forment un drôle de nœud — Est-il possible de dénouer la chose ? Ne convient-il pas de dire que si diable il y a, ce dernier a de nombreuses facettes. En vérité le Marquis de Sade et le Moraliste sont frères. Ils consentent tous deux à voir dans la Liberté un nœud inextricable. Quand le moraliste s’entend à vivre avec le nœud et se soumet, le Marquis y va pour le trancher ou le brûler — mais nul ne sait le dénouer ! Nul ne conçoit l’inconcevable : être à l’image de Dieu, être fils de Dieu.

Somme toute normal, car il y a des limites à ne pas dépasser, tant pour les libertaires que pour les moralistes. Il faut obéir à son père et sa mère. Les fils du Bien & du Mal, les frères de la morale ont si peur de quitter le cocon familial. D’ailleurs, tous deux tirent un grand profit à ce que le nœud ne soit jamais dénoué — grands dieux ! ils ne pourraient jamais se chamailler avec leurs frères. Ils perdraient le piment des riches tortures de leur vie apeurée. Ces vies égoïstes qui refusent absolument que le mystère divin soit donné à l'homme.


Ivsan Otets